Qui ne connait pas la fameuse « courbe du changement » ? Celle qu’on descend puis qu’on finit par remonter, pour aller indirectement du point A au point B d’un changement, en ayant touché le fond à mi-parcours. Pour l’expliquer à nos clients, on utilise bien sûr l’exemple du deuil à la suite d’un décès ; ou bien l’exemple de l’arrêt du tabac ou encore celui d’une expatriation lointaine. Cela ne parle pas forcément à tout le monde et certaines étapes initiales (déni et inertie) sont souvent peu conservées en mémoire.
Avec cette crise sanitaire, nous tenons l’exemple parfait : vécu par tous, en même temps, à grande échelle et documenté par les médias. Nous pouvons retracer ces fameuses étapes :
- Le déni : c’est un truc chinois, loin de nous … la grippe saisonnière tue bien davantage … et la faim dans le monde n’en parlons pas
- L’inertie : ok on se confine mais je continue le jogging et je ne porte pas de masque, puisque de toutes façons quand on n’en a pas, cela n’est pas utile et puis après c’est les vacances comme d’habitude, d’autant qu’il n’y aura pas de seconde vague puisque d’habitude une grippe c’est 80 jours et basta cosi … « le chien aboie et la caravane passe »
- La résistance : colère parce qu’on nous empêche de vivre et mourir comme on veut, argumentation en expliquant qu’avec les gestes barrières dans les restaurants il n’y a pas de souci de contamination, sabotage lors de fêtes à plus de 20 personnes avec un ou deux cas positifs pour faire bonne mesure ; la phase des négociations malines (on est à plus d’un mètre donc on retire le masque et on aère, bon j’ai été sérieux toute la semaine je peux quand même m’amuser le weekend non ?)
- La décompensation : finalement on se reconfine … grosse fatigue et moral en berne, déprime de la deuxième vague alors qu’on a fait le maximum pour s’adapter en matière sanitaire comme côté boulot ; on ne voit pas le bout du tunnel
- La résignation : cette fois-ci, il faut bien l’admettre, ce virus est très proche de nous, on l’a chopé ou bien on connait personnellement au moins 10 personnes contaminées … c’est une vraie galère, on a la rage mais il va bien falloir s’y faire ; on finit même par envisager, déjà, le troisième confinement
- L’acceptation : ça y est, on touche le fond ; ce moment où l’on sent qu’on accepte non seulement (une part de) la situation … mais également un changement plus profond ; on décide d’allumer des lumières dans le tunnel, de s’accrocher aux gains possibles ou d’arrêter de compter les pertes ; ce moment où l’on pense qu’on ne va pas attendre que « cela se tasse » mais où l’on va prendre les choses différemment, très différemment.
Ceux qui atteignent ce point et partent à l’assaut de la remontée, de l’expérimentation, de l’apprentissage, de l’intégration de la nouvelle donne, ceux-là disent que deux choses les ont aidés : l’échange avec d’autres (pour s’entendre dire autant qu’écouter les autres se raconter, pour débattre et se frotter aux contradictions et idées différentes, pour se rassurer aussi de se sentir dans le même tunnel) et la prise de décision avec soi-même. Choisir c’est renoncer. On doit faire de la place à la nouveauté en abandonnant des pratiques acquises.
Cet exercice familier : créer / abandonner / améliorer / conserver … quoi ? Comment vivre avec le risque sanitaire en mode réflexe ? Quels gestes en automatique à la place de pester contre le port du masque ? Quelle réinvention du lien et de l’intelligence collective sur Zoom ? Quel autre métier faire si le mien dépérit avec cette crise ? Ou comment l’exercer très différemment pour le conserver, tels ces restaurants qui cuisinent désormais des plats à emporter ? A partir de quand je décide d’y penser, de l’expérimenter ?
En fait, cela fait des mois qu’on s’adapte. Car pendant la descente de courbe, on ne fait pas rien en attendant le fond. Mais on pense que ça ne va pas durer, que ça va repartir. Mais ça dure et on est fatigué. Moment idéal pour commencer par accepter de recharger les batteries, respirer, changer d’énergie, rêver le futur. Espérer aussi : un vaccin, une reprise économique, des solidarités. S’en parler, beaucoup. Pour décider avec soi-même ensuite.