C’est un peu comme la poule et l’œuf : est-ce un esprit sain qui permet un corps sain … ou l’inverse ? Ce qui est sûr, c’est que la prise en compte du corps en entreprise connait une histoire intéressante.
Elle commence par sa négation : on meurt dans les mines dès l’âge de 14 ans. Elle prend ensuite progressivement le chemin de la protection via la lutte contre les accidents du travail et la couverture santé. On se préoccupe également de productivité avec l’ergonomie. Puis la façon dont on s’habille prend de l’importance avec la tertiarisation de l’économie : aux vêtements de protection et uniformes succèdent les codes culturels qui différencient les travailleurs de BNP Paribas, Chanel et Ubisoft. Ceux de Paris de ceux de la Province ; ceux qui viennent en voiture ou à vélo ou en transports en commun. En fait, tout en étant ornementé et codifié, le corps est caché. On n’en parle pas, on a du mal à l’intégrer dès qu’il est rendu différent (par la maladie tel le cancer, le handicap, l’obésité, etc.), on tente de ne pas discriminer selon son allure, sa couleur.
La pandémie de Covid-19 nous rappelle violemment que ce corps est très présent dans le processus de travail :
- Pas d’activité sans sécurité sanitaire
- Une grande fatigue physique et psychique qui s’empare des corps immobiles rivés aux écrans et téléphones
- La plus difficile production collective sans présence des corps dans le même espace de travail
- La disparition de multiples informations habituellement émises par nos visages désormais masqués.
Alors les pratiques de yoga, méditation et autre cohérence cardiaque déjà en développement croissant depuis quelques années, font leur entrée dans l’entreprise : cours en ligne ou en salle, conférences incitatives … A la sortie du confinement, beaucoup ont découvert les campagnes et montagnes de France, ainsi que la randonnée. Envie d’aérer l’esprit en aérant le corps, de reconnecter les deux.
Dans « Philosophie de la Marche » (2018 – Le Monde / Editions de l’Aube), Nicolas Truong le dit si bien : « Marcher, c’est parfois aussi une philosophie, un rapport à soi et aux autres, une représentation du monde où celui-ci apparaît par dévoilement successif – du paysage et de soi-même – par le cheminement et la lenteur. Marcher, c’est une technique du corps, mais également une médecine de l’âme, un exercice spirituel, un rituel nécessaire à l’homme de la sédentarité. »
Ceci conduit déjà bon nombre d’entre nous à faire place au corps dans nos actions individuelles et collectives : créer du mouvement physique et pas seulement du travail cérébral. Par exemple, avec des exercices ludiques ou des dispositifs tels process work ou world café, des conversations en marchant, des séquences de relaxation ou de chant choral, l’élaboration des idées avec des Lego® plutôt qu’avec des paperboards ou du Klaxoon. Nous tentons ainsi de ralentir et réguler l’accélération du monde et son immédiateté, dans un autre rapport des corps à l’espace et aux autres, entre prise de recul et action. Ce qui produit de belles décantations de la pensée ainsi mise en disponibilité, sans rien perdre de sa densité. Une façon de rouvrir l’horizon par une forme de flânerie. « Marcher, c’est aussi se proposer soi-même comme aventure, rompre avec les inerties du présent » (Frédéric Gros – page 44 – opus cité).